Connaissiez-vous l'origine de l'expression "Se tenir à carreau" ?
Lorsque nous disons à une personne : "Tiens toi à carreau !", cela signifie qu'elle est invitée à s'éloigner, à se tenir tranquille ou sur ses gardes, à ne pas se manifester où s'efforcer de passer inaperçue.
L'expression existait sous la forme "se garder à carreau" depuis la deuxième moitié du XIXe siècle. Sa forme actuelle, date du début du XXe siècle. Elle serait liée aux cartes à jouer.
Ainsi qu'en témoigne le dicton "qui se garde à carreau n'est jamais capot", le joueur qui "se garde à carreau", qui surveille bien son jeu et reste sur ses gardes ne perd jamais. La consonance a fait naître ce proverbe. Le verbe "se garder", dans l'ancienne forme de l'expression, a été substitué par "se tenir".
Les quatre emblèmes des jeux de cartes français sont ordinairement tenus pour être les symboles des différentes armes : le Coeur symboliserait le Courage, vertu distinctive de la noblesse mais aussi la charité, la compassion, le Pique symboliserait l'Infanterie et les armes de guerre, le Trèfle le fourrage qui est sous la responsabilité de l'Intendance et le Carreau qui est ce lourd projectile lancé par l'arbalète.
En effet, le carreau d'arbalète était une flèche de fer utilisée comme projectile par les arbalétriers ; sa forme était particulière puisque pyramidale, donc à quatre pans et à base carrée, son utilisation avait pour objectif de transpercer les armures (Richard Cœur de Lion mourut de la blessure infligée par un carreau d'arbalète en 1199).
Tout assaillant avait donc intérêt à se "garder à carreau" c'est-à-dire à se tenir hors de portée de tir des arbalétriers bien cachés derrière leurs meurtrières.
On se tenait également à carreaux lorsque, du haut d'une place forte, l'on surveillait les alentours, prêt à charger les carreaux sur son arme afin de dissuader les adversaires de s'approcher du lieu.
Dans l'argot de la police, le "carreau" désigne le domicile, tout comme la "carrée" ou la "carre" est la chambre ; "se tenir à carre", c'est-à-dire "rester dans sa chambre". "Se carrer" signifiant "se mettre à l'abri, en sûreté" ou tout simplement rester chez soi. C'est vers le milieu du XIXe siècle cette expression française est devenue synonyme de "ne pas se manifester, chercher à passer inaperçu".
Un peu d'histoire : les arbalètes
Les premières arbalètes apparaissent en Chine, durant une période qui couvre le Ve siècle et jusqu'à 221 avant notre ère.
Au Moyen Âge, l'arbalète est utilisée autant comme arme de chasse que pour la guerre. Méprisée par la chevalerie, elle est vue comme arme déloyale car, tuant à distance, elle ne permet pas à l'adversaire de se défendre. Ainsi, considérant que l’arbalète, qui n’exige pas une grande formation, permet à des soldats peu aguerris de tuer de loin un chevalier en armure qui a voué son existence au métier de la guerre, le clergé estime que c'est une arme immorale pour le peu de courage et de formation qu’elle exige de celui qui la manie. Les Français la regardaient comme l'arme des lâches et refusaient de s'en servir. Avec cette arme perfide, disaient-ils, un poltron peut tuer sans risque le plus vaillant homme.
L'arbalète est frappée d'anathème et son usage est interdit en 1139 par le IIe concile du Latran et confirmée quelques années plus tard, en 1143, par le pape Innocent II, qui menaça les arbalétriers, les fabricants de cette arme et ceux qui en faisaient le commerce d'excommunication et d'anathème.
Mais au XIIe siècle, malgré l'interdiction, Richard Cœur de Lion et Philippe Auguste développèrent des unités spécifiques d'arbalétriers, bien entraînées et équipées. L’efficacité de ces armes faisait de ceux qui les maniaient des soldats d'élite, très prisés, et très bien payés, ce qui leur permettait l'achat d'équipements de qualité.
Durant les guerres de la fin du Moyen Âge, la France fait souvent appel à des mercenaires arbalétriers étrangers (notamment italiens, et en particulier génois), dont le tir pouvait percer une armure jusqu'à une distance de 90 à 100 mètres. On invente aussi un mécanisme complexe et coûteux, avec un temps de rechargement de plus en plus long de 2 à 3 minutes (jusqu'à 30 minutes pour les modèles les plus puissants) comme le cric ou le treuil - appelé aussi le "moufle" - pour tendre l'arbalète. Les Italiens se distinguèrent dans la fabrication d'arbalètes particulièrement efficaces : un trait pouvait atteindre jusqu'à 350 km/h. Cependant, à raison de deux coups par heure, elle fut peu utilisée sur les champs de bataille.
Les arbalètes, comme les arcs, ont pratiquement disparu lorsque les armes à feu, plus facile d'emploi, demandant moins d'entraînement, mais aussi beaucoup moins chères, devinrent l'équipement de base du fantassin.
Les cartes à jouer
Les plus anciennes cartes à jouer connues sont d'origine chinoise et apparurent durant la dynastie Tang (618-907). Elles semblent avoir été développées à partir des anciens dés en provenance d'Inde et en liaison avec des pratiques divinatoires. Il est possible que les précurseurs directs des cartes européennes, dont la forme est très proche de celle connue aujourd'hui, aient atteint l'Europe à la fin du XIVe siècle par l'intermédiaire des Mamelouks d'Égypte (membres de la garde servile du sultan), ou bien par les échanges marchands avec les Mongols le long de la Route de la Soie.
La représentation des cartes à jouer n'est pas le fruit du hasard.
Les emblèmes ou enseignes varient selon les pays. La plupart se sont fixés vers la fin du XVème siècle. En France, ce sont les Pique, Cœur, Trèfle et Carreau qui sont en usage.
Les figures de nos jeux de cartes actuels remontent au XVIIème siècle. Elles sont nées dans l’atelier du maître cartier Hector de Troie, et les noms attribués alors aux figures, selon les héros en vogue de l’époque, n’ont pas changé :
Les Couleurs
Elles sont associées à des Empires ou des Royaumes :
- Coeur : le Royaume Franc
- Pique : le Royaume Juif
- Carreau : l’Empire Romain
- Trèfle : l’Empire Perse (Grèce).
Les Rois
Ils représentent des figures emblématiques de ces domaines, mais pas forcément des souverains :
- Roi de Coeur : Charles qui pourrait faire référence à Charles VII mais comme il est barbu (c’est d’ailleurs le seul roi barbu), il est plus vraisemblablement Charlemagne
- Roi de pique : David, personnage biblique qui battit le géant Goliath
- Roi de Carreau : César… Jules de son prénom. Il est la seule figure de roi à ne pas porter de sceptre. On ne lui voit d’ailleurs pas les mains du tout
- Roi de Trèfle : Alexandre le Grand, conquérant renommé de Perse.
Les Dames
A l’instar des hommes, elles renvoient à des figures emblématiques, mais ne correspondent pas aux épouses des rois.
On peut aussi remarquer que les couleurs noires sont associées à des figures brunes tandis que les couleurs rouges renvoient à des dames blondes.
- Dame de Cœur : Judith, héroïne biblique qui coupa la tête de son amant Holopherne.
- Dame de Pique : Pallas est un autre nom d’Athéna, déesse de la sagesse.
- Dame de Carreau : Rachel, autre personnage de la Bible, cousine et seconde femme de Jacob.
- Dame de Trèfle : Originellement, il se raconte qu’Anne de Bretagne y était représentée. Aujourd’hui, elle se nomme Argine, ce qui est juste une anagramme de Regina (reine en latin). Elle est la seule à ne pas tenir de fleur dans la main et à être un personnage fictif.
Les Valets
Les appeler "Les Valeureux" aurait sans doute été plus juste que « Les Valets » car ils sont des personnages connus pour leur bravoure et non de simples serviteurs.
- Valet de Coeur : Lahire, compagnon d’armes de Jeanne d’Arc qui doit son surnom à son caractère colérique (ire = colère en ancien français).
- Valet de Pique : Hogier, l’un des douze fidèles de Charlemagne (qui lui est roi de coeur).
Il se révoltera contre lui lorsque son fils mourra par la main de Charlot, fils de Charlemagne.
- Valet de Carreau : Hector, mais pas celui de la guerre de Troie contrairement à ce qu’on croit communément. Il s’agit en fait d’Hector de Galard connu pour avoir accompagné Jeanne d’Arc.
- Valet de Trèfle : Lancelot (du Lac), chevalier célèbre de la table ronde, amant de la reine Guenièvre. Il est le seul à tenir un objet dans sa main.