"Du masque au dortoir, il n'y a qu'un pas"...
Si nous remplacions "masque" par "personne" et "dortoir" par "cimetière", nous obtiendrions :
"De la personne au cimetière, il n'y a qu'un pas".
Quoique chacun de ces quatre mots ait conservé jusqu'à nos jours son sens propre, "personne" et "cimetière" de par leur étymologie greco-latine procèdent respectivement de "masque" et de "dortoir".
"Personne"
Issu du latin "persona", ce mot signifie "masque de théâtre", "rôle" ; *perso, -onis" et "personare" : "se masquer".
En effet, la plupart des objets se rapportant au théâtre portent des noms grecs : "persona" pourrait être une déformation du grec ancien "prosopon", "masque", "visage". Cet unique signifiant introduit, en grec, aussi bien la notion de visage que de masque, ce qui nous permet de mesurer l’écart entre notre approche du masque et du visage - qui sont pour nous deux réalités bien distinctes et même parfois contraires - et celle des Grecs. Dans un premier temps, le "prosopon", c’est, étymologiquement, "ce que l’on offre au regard d’autrui". C’est donc ce qui est susceptible d’être vu mais aussi de voir.
En langue étrusque "phersu" est un masque de dieu psychopompe et signifie "personnage masqué".
Dans la mythologie, un dieu psychopompe (du grec ancien "psykhopompós" signifiant littéralement "guide des âmes") est le conducteur des âmes des morts, un guide ou un passeur vers la "nuit de la mort".
Ce mot ne prendra le sens de "personne" en qualité d'être purement humain qu'à partir du IIe siècle de notre ère.
"Cimetière"
Du latin "coemeterium", devenu "cimiterium" issu lui-même du grec ancien "koimêtêrion" signifie "dortoir", "lieu pour dormir".
Le "masque" est-il vraiment si éloigné de la "personne" et le "dortoir" du "cimetière"... ? Les aléas de la vie humaine n'oscillent-t-ils pas souvent entre la tragédie grecque et le théâtre de boulevard ?
Un peu d'histoire
La Grèce antique connaît déjà la notion de costume de théâtre : les acteurs revêtent des habits, des souliers qui ne sont pas ceux de la vie quotidienne. Ceux-ci varient suivant l'époque et le genre (tragédie, comédie, drame satyrique), mais leur rôle reste identique : il s'agit de faciliter l'identification des personnages. En effet, un même acteur peut jouer plusieurs rôles - parfois très différents - au sein d'une même pièce.
Toute la troupe porte un masque. Les masques couvraient la totalité du visage des comédiens. Ils étaient fabriqués avec des chiffons stuqués assemblés dans un moule et enduits de plâtre. Ils expriment des sentiments très forts : l’étonnement, la douleur, l’effroi. Les masques anciens ne couvrent que le visage. Par la suite, ils s'agrandissent vers le sommet du crâne, de sorte à pouvoir y fixer des perruques ou au contraire, à figurer un crâne chauve.
Le masque est percé aux yeux et à la bouche afin de permettre au comédien de se déplacer et de s'exprimer librement.
Le masque tragique est plutôt réaliste. Le masque du drame satyrique porte une barbe, des oreilles pointues et un crâne chauve. Le masque comique peut être très varié. Parfois, il caricature un personnage contemporain bien connu des spectateurs.
Les acteurs vont pieds nus ou chaussés de "kothornoi" ("cothurnes") sortes de bottines, parfois lacées, parfois dotées de bouts pointus et peut-être inventées par le tragédien grec Eschyle (526 av. J.-C .- 456 av. J.-C.).
Plus tard dans l'antiquité gréco-romaine, ils désignent des brodequins lacés sur le devant du mollet, à semelle très épaisse en bois ou en liège, portés par les acteurs tragiques afin de se grandir, de se donner une allure plus imposante ou plus majestueuse, comme le faisaient les soldats grecs, étrusques et romains.
Les acteurs tragiques dissimulaient cet artifice en portant de longues robes.
De cet accessoire de théâtre, un expression nous est restée : "Chausser le cothurne", qui signifie prendre un ton tragique ou pathétique de façon exagérée dans une situation qui n'en vaut pas la peine.