Connaissiez-vous l'origine de l'expression "Passer sous les fourches caudines" ?
Elle signifie être contraint de subir une épreuve difficile et humiliante.
Cette expression se réfère à une défaite romaine qui eut lieu en 321 avant J.-C. concluant une bataille opposant les Romains aux Samnites. Comme son nom l'indique, le théâtre de la Bataille des Fourches Caudines (Furculae Caudinae) fut la Vallée des Fourches Caudines (Valle Caudina ou Stretta di Arpaia en italien). Située en Campanie - région de Naples -, cette vallée se présente sous forme de deux défilés montagneux, aux gorges profondes et étroites passant entre les rocs à pic des Apennins couverts de forêts sombres.
L'appellatif "Fourche" - "furca" en latin - est apparenté à "quercus", chêne et prend le sens de "bois solide" ; dans le toponyme Furcae Caudinae (les Fourches Caudines, près de Caudium), il prend le sens de "chênaie". Le mot "fourche" pourrait être une ancienne association avec la foudre qui frappe le chêne.
Quant à l'adjectif "caudines", il se réfère à la cité de Caudium, située sur la Voie Appienne entre Capoue et Beneventum, à l'emplacement actuel de Montesarchio.
À l'issue de cette bataille, les Romains, défaits, durent passer sous le joug samnite.
Le joug
Une tradition de l'armée romaine consistait à dresser un joug symbolique (jugum), sorte de portique bas improvisé construit à l’aide de trois lances, dont une était attachée horizontalement aux deux autres fichées verticalement en terre, et sous lequel le vainqueur faisait passer, en signe de soumission, d'abord les chefs puis, à leur suite, les officiers et les soldats de l'armée vaincue. Lors de cet épisode militaire des Fourches Caudines, ce fut le tour des Romains de goûter aux joies de leur invention en passant sous le joug dressé cette fois à leur intention par les Samnites.
Ainsi, l'expression "passer sous les fourches caudines" associe la toponymie et la topographie des lieux de cette bataille de Caudium à son issue jugulaire.
Un peu d'histoire
Les Samnites luttent contre les Romains qui veulent s'emparer de Naples. Vaincus, ils demandent la paix à Rome, mais le Sénat la leur refuse. Ils se promettent alors la mort ou la vengeance. Ils élisent un nouveau général : Caius Pontius. Élaborant un stratagème destiné à faire tomber les Romains, ils reprennent les armes et se remettent en route.
Ils envoient dix soldats travestis en bergers, dont la mission est de propager une fausse information ; celle-ci arrive aux oreilles des Romains. Le stratagème fonctionne : l'armée de 40 000 soldats romains avec à sa tête les deux consuls Titus Veturius Calvinus et Spurius Postumius Albinus s'ébranle afin de porter secours à ses alliés les Lucériens sensés être attaqués par les Samnites.
Les Romains choisissent le chemin le plus court : celui des Fourches Caudines. Ils s'avancent dans le défilé, mais la vallée est obstruée par des rocs, des arbres placés par les Samnites et leur armée conséquente qui les attend. Faisant demi-tour, ils se rendent compte que la route est coupée : les collines sont couvertes de soldats.
Les Romains furent contraints de capituler sans condition. Les deux consuls se rendent et leurs légions avec eux. C’est alors que le chef samnite Caius Pontius, décide de les humilier davantage : afin de regagner leur cité, les 40 000 Romains - consuls en premier - devront passer sous le joug des Samnites, mains liées dans le dos et se courbant en signe de soumission.
Dans son ouvrage "Histoire romaine", l'historien romain Tite-Live nous livre son récit :
"D’abord il leur est enjoint de sortir de leurs retranchements, sans armes et avec un seul vêtement : les otages sont livrés les premiers, et conduits en prison. Vient ensuite le tour des consuls, dont on renvoie les licteurs et auxquels on ôte leur manteau. Un pareil opprobre attendrit à tel point ceux-là même qui, peu de temps avant, les chargent d’exécrations, et veulent qu’ils soient sacrifiés et mis en pièces, que chacun, oubliant son propre malheur, détourne ses regards de cette dégradante flétrissure d’une si haute majesté, comme d’un abominable spectacle.
Les consuls, presque à moitié nus, sont envoyés les premiers sous le joug ; puis chacun, suivant son grade, subit à son tour cette ignominie ; ensuite chaque légion successivement. L’ennemi, sous les armes, entoure les Romains ; en les accablant d’insultes et de railleries ; il lève même l’épée contre la plupart, et plusieurs sont blessés, quelques-uns tués, pour avoir offensé le vainqueur en laissant trop vivement paraître sur leur visage l’indignation qu’ils ressentent de ces outrages. Tous courbent donc ainsi la tête sous le joug, et, ce qui est en quelque sorte plus accablant, passent sous les yeux des ennemis."
N.B. Il est amusant de noter que l'adjectif "conjugal" issu du latin "conjugalis" a pour racine le mot "joug" : "cum", avec, + "jugum", joug.