Connaissiez-vous l'origine de l'expression "Bayer aux corneilles" ?
Elle est couramment utilisée pour désigner une personne regardant en l'air bouche ouverte. Mais pourquoi écrire "bayer" plutôt que "bâiller" ?
Même si "bâiller" semble bien correspondre au sens de cette expression, nous parlons ici de "bayer", qui signifie s’étonner, rester bouche bée.
En dépit de leurs nuances respectives, les deux verbes "bayer" et "bâiller" ont la même racine : du verbe latin "bataculare", "batare" - ou "badare" en latin populaire -, signifiant "être béant, ouvert". Passant par l'ancien français aux VIIe - VIIIe siècles, "badare" ou "battare" devient "baer", "baier", "beer" c'est-à-dire "ouvrir, être ouvert", "aspirer ardemment, convoiter, rêver".
Au sens de "bâiller", le verbe latin "batare" serait onomatopéique, exprimant le bruit que l'on fait en ouvrant la bouche.
C'est au XVIIe siècle que le verbe "bayer, béer" (au sens abstrait) a été confondu avec "bâiller".
On dit ainsi d'une étoffe qu'elle bâille lorsqu'elle n'est pas suffisamment tendue, ou d'une porte qu'elle bâille lorsqu'elle n'est pas fermée (entrebâillée - entrouverte).
Mais pourquoi dit-on bayer aux "corneilles" ?
Au XVIIe siècle, l'expression exacte était "bayer aux grues". On peut donc y voir une référence aux corneilles, ces oiseaux appartenant à la famille des corvidés. Mais les "corneilles" (déformation de "cornouilles") sont également les fruits du cornouiller (cornus), arbre originaire du sud de l'Europe et de l'Asie.
"Corneille" vient du latin, "cornicula", dérivant de cornix (cornix et -ula). "Cornus" signifie à la fois "cornouiller et "corne", tous deux de consistance très dure. "Cornus" et "cornix" étant probablement issus d’une même racine, il est amusant de retrouver cette parenté entre le fruit et l’oiseau, la cornouille et la corneille.
Au XVIe siècle, le terme "corneille" s’est étendu, désignant un objet insignifiant, sans importance. L'expression "voler pour corneille" exprimait le fait de chasser un gibier sans valeur. Cet usage du mot "corneille" renforce l’image de futilité que nous associons aujourd’hui à "bayer aux corneilles". Selon le sens des différents termes qui constituent cette expression, nous pourrions ainsi la traduire par "rester la bouche ouverte devant une chose sans intérêt".
N.B. Il existait chez les Celtes une déesse-corneille, déesse guerrière connue des Gaulois sous le nom de Catubodua, dont l'équivalent irlandais paraît être la déesse Badb. D’autres déesses guerrières gauloises telles que Boudina, Bodua, et Boudiga, dont les noms partagent la même racine qui cette fois signifierait "victoire". Catubodua pourrait ainsi être comparable à la déesse romaine Victoria et à la déesse grecque Niké.
L'association de la corneille et de la guerre est par ailleurs bien connue dans la mythologie nordique, avec les fameuses Walkyries qui, revêtues d’une armure volaient, dirigeaient les batailles, distribuaient la mort parmi les guerriers et emmenaient l’âme des héros au Valhalla, le grand palais du dieu Odin.
C’est en bois de cornouiller qu’aurait été construit le cheval de Troie : il provenait d’un bois consacré à Apollon Karneios, sur le Mont Ida, hauteur qui domine la plaine de Troie.