Connaissiez-vous l'origine de l'expression "Copains comme cochons" ?
En réalité, nous devrions dire : "Copains comme soçons".
Dans cette expression, le mot "cochon" est une déformation du mot "soçon" issu du latin "socius", uni, joint, associé, compagnon. Soçon a parfois été modifié en "chochon" qui désignait "le camarade".
Autrefois, dans certaines régions de France, un "soçon" était un cheval de trait prêté pour labourer à deux chevaux par quelqu'un à qui l'on prêtait soi-même le sien lorsqu'il en avait besoin pour la même tâche.
"Socius" étant issu du verbe "sequor" (suivre), nous retrouvons sa racine dans le mot "société", "associer" - entre autre - mais également dans le mot "secte" (du latin "secta" : ligne de conduite, façon de vivre, principes).
Quant au mot "copains", dérivé de "compagnon", il est une altération du mot "compainz" employé vers la fin du XIe siècle. "Compagnon" issu du latin populaire "companio" est composé de "cum" (avec) et de "panis" (pain), ce qui signifie au sens littéral "celui qui partage son pain avec".
Au cours du temps, il s'étendra au sens de "celui qui partage ses activités avec quelqu’un".
Qui dit compagnon dit compagnonnage.
Le Compagnonnage
En Égypte, à Rome, et dans toutes les civilisations bâtisseuses, les ouvriers et les artisans se regroupaient, s’épaulaient et échangeaient leurs connaissances.
Le compagnonnage est un groupement de personnes dont le but est généralement entraide, protection, éducation et transmission des connaissances entre tous ses membres. L'un des plus fameux exemples de compagnonnage que nous connaissions aujourd'hui en France est celui des Compagnons du Devoir.
Les légendes font naître le compagnonnage au Xe siècle av. J.C. sur le chantier mythique du premier Temple de Jérusalem (959 à 951 av. J.C.). Là, sous l’autorité du roi Salomon et de son architecte Hiram, un ordre compagnonnique aurait vu le jour, organisé autour de deux autres personnages : maître Jacques, tailleur de pierre, et le père Soubise, charpentier. Jacques et Soubise auraient introduit le rite en Gaule.
Les différentes sociétés de Compagnonnage se sont rangées sous les bannières de Salomon, Maître Jacques et Soubise.
Maître Jacques est par tradition l'ancêtre de deux corporations de Compagnons tailleurs de pierre qui virent le jour en 558 av. J.C. : les "Loups", pour les uns, qui se plaçaient à la tête de tous les autres corps du Devoir, et les "Loups Garous" pour les autres.
Le Père Soubise, lui, est considéré comme étant fondateur de la corporation des charpentiers, surnommés les "Renards" ou "Enfants de Salomon".
L'étude comparée des traditions inhérentes à différents pays du monde semble montrer que ces artisans se sont transmis des connaissances plus ou moins secrètes, de génération en génération.
C'est à cette élite d’hommes de métier en quête d’excellence que nous devons tant de cathédrales, églises, abbayes et autres édifices médiévaux européens (des signes tracés dans les pierres et dans les charpentes, particuliers aux compagnons y sont reconnaissables) : témoins tant de leurs connaissances très avancées en matière de technique architecturale que de leur savoir-faire.
De ce temps des cathédrales ils nous est parvenue une expression toujours usitée : le "Pot de vin".
Le pot de vin qui, de nos jours est devenu synonyme de corruption était au XIIe siècle un "bonus" offert aux Compagnons qui avaient accompli leur tâche en un temps plus court que prévu : ces derniers pouvaient se rendre à l'auberge ou à la taverne du lieu où se situait le chantier afin d'y percevoir un "pourboire" sous la forme d'un pot de vin.
Très vite, à l'instar de celles des tailleurs de pierres et des charpentiers, d'autres corporations furent créées : le savoir-faire compagnonnique s'étendit à l'ébénisterie d'art, au travail des métaux, à la couverture (toiture), travail du cuir (selliers, cordonniers, bottiers), travail des textiles et, plus récemment, aux métiers de la plomberie, de la carrosserie et aux métiers de bouche.
La première mention indiscutable des pratiques compagnonniques remonte à l'année 1420, lorsque le roi Charles VI rédige une ordonnance pour les cordonniers de Troyes dans laquelle il est dit que :
"Plusieurs compaignons et ouvriers du dit mestier, de plusieurs langues et nations, alloient et venoient de ville en ville ouvrer pour apprendre, congnoistre, veoir et savoir les uns des autres."
Les Compagnons du Devoir, du Tour de France, et ceux des métiers du bâtiment, sont toujours bien vivants. Leurs précieux savoirs et leurs secrets de construction en font des hommes considérés et admirés de tous. Aujourd'hui encore, ils continuent d'accueillir les jeunes gens désireux d'exercer les métiers exigeant intelligence manuelle et créativité afin de les former, leur transmettant ainsi les précieux savoir-faire ancestraux.
Mais cet apprentissage n'est pas un apprentissage comme les autres ; il est dispensé sous un double aspect : une pédagogie, reposant sur le métier au contact des Anciens selon une règle très stricte basée sur la transmission des valeurs morales d'honnêteté, de respect, d'humilité, d'assiduité, de rectitude, de rigueur, de solidarité, d'adaptabilité, d'ouverture d'esprit et de partage.
La durée de l’apprentissage varie selon les individus, les corps de métiers et les groupements compagnonniques et peut s'étendre de trois à sept ans (parfois plus). Il s'échelonne en trois étapes : Apprenti, Compagnon sédentaire ou itinérant, Compagnon fini ou Maître.
L'apprentissage inclut également une période de "cavale" (un an au minimum), c'est-à-dire de voyage - obligations familiales permettant - à travers la France et au-delà de ses frontières. Le but de cette "cavale" est de parfaire et enrichir les connaissances auprès de plusieurs autres maîtres, en divers lieux (ou de chantier en chantier).
Le Compagnonnage est un modèle unique d'apprentissage professionnel, mais aussi éthique. C'est le consentement à la règle commune qui unit les Compagnons du Devoir, ainsi que le sens de l'honneur. Cet esprit de corps ne signifie pas que chacun doive renoncer à sa singularité. Au contraire, l'unité et donc la richesse du Compagnonnage est faite de différences ; chaque individu a sa place et participe, avec ses particularités, à l'intérêt commun.
Depuis 1842, tout étranger peut être admis, pourvu qu'il entende et parle correctement la langue française. Actuellement, les compagnons du devoir sont présents dans 45 pays des cinq continents, et dans toutes les régions de France.
La Cayenne, la Mère
- La Cayenne - du latin "caya", demeure, maison - est le lieu où se réunissent les compagnons. Par extension, la cayenne désigne l’assemblée des compagnons elle-même. Ce terme qui est remplacé par "chambre" pour certaines corporations. Rituellement, on dit que les compagnons "descendent en cayenne" ou "montent en chambre". Au sein de leur Cayenne, Apprentis et Compagnons trouvent le gîte et le couvert, des Maîtres, du travail et autrefois la protection pour leurs familles et pour eux-mêmes. Les stagiaires et les membres confirmés devaient se conformer strictement aux règles et à certains principes de base.
- la Mère est le nom donné à la femme (épouse d'un Compagnon) qui, après avoir été dame-hôtesse, gère et anime un siège compagnonnique. Elle est choisie par les compagnons pour ses vertus et sa fidélité aux valeurs du Compagnonnage. Elle s'occupe de l'administration, du bon ordre et elle veille à ce que tout se passe bien sur le Tour de France et plus particulièrement pour les nouveaux jeunes arrivants. Par sa sensibilité de femme et de Mère, elle peut être un soutien plus approprié que celui des Compagnons pour des aspirants éloignés de leurs familles ou amis, car elle accompagne moralement les jeunes qui font leur Tour de France.
Par extension, la mère peut désigner également le siège lui-même. De par son rôle très important au sein de la Cayenne itinérante, elle est respectée par tous ; les compagnons l'appellent "Notre mère".
Apprenti, Aspirant-Compagnon et Compagnon Fini
Pour devenir Compagnon du Devoir, il faut préalablement devenir Affilié ou Aspirant-Compagnon. Après quelque temps de formation l’Apprenti doit réaliser une "maquette d’adoption". À l'issue de la correction de cette maquette, la communauté des Aspirants et Compagnons jugera si l'apprenti ou le stagiaire peut être "adopté " en qualité d'Aspirant-Compagnon. Cette évaluation donne lieu à une "Cérémonie d’Adoption" ou "d'Affiliation", empreinte d’enseignements et de symboles qui marqueront à jamais l'Aspirant-Compagnon. À cette occasion, ce dernier reçoit ou choisit un surnom lié à sa région ou à sa ville d’origine (exemple : "Alphonse le Berry" ), une canne d'Aspirant-Compagnon, instrument de voyage et symbole de rectitude et de l’itinérance, un chapeau, un habit et des rubans colorés ou un baudrier. Le port de rubans colorés ou du baudrier par les Compagnons est une marque d’identité du groupe et du corps de métier. Y sont également imprimés un labyrinthe et la Tour de Babel, invitations à mettre de l’ordre dans son propre esprit ou rappels d’une œuvre demeurée inachevée ; ces deux figures désignent la quête de sens qui devra l'animer sur les chemins du Tour de France. Ces décors ne sont aujourd’hui portés que lors des cérémonies. Le lauréat fait désormais partie de la communauté des Compagnons, et peut partir quand il le souhaite pour commencer son Tour de France qui pourra durer six ou sept ans.
Au cours de ce périple appelé "cavale" ou "voyage", il poursuivra sa formation auprès de divers patrons et "pays" ou "coteries" qu'il fréquentera sur le Tour de France. Il trouvera partout une maison de compagnons, une "Cayenne" ou "Chambre".
Au retour de sa Cavale, l'Aspirant-Compagnon s'attèlera à un travail appelé communément "Chef-d'Oeuvre". Le chef-d'œuvre individuel existe depuis le Moyen Âge et fut rendu obligatoire au XVe siècle. Il s'agit d'une œuvre imposée à un Aspirant-Compagnon pour pouvoir passer Maître en devenant Compagnon-Fini. Autrefois il ne pouvait être commencé qu'après sept ans d'apprentissage et son Tour de France achevé.
Cette création, suivant l'objectif de perfection qu'il s'est fixé, pourra lui demander plusieurs centaines d'heures de travail, voire plusieurs mois ou années pour certains. Il devra attester des compétences acquises par l'Aspirant-Compagnon au cours de ses années d'apprentissage et de voyage. L'oeuvre peut parfois être collective (deux ou trois Aspirants-Compagnons).
Ce "Chef d'Oeuvre" ou "Travail de Réception" étant accompli, celui-ci sera présenté lors d'une autre cérémonie appelée "Cérémonie de Réception" et soumis à l'opinion d'un jury composé de Compagnons et de Maîtres Anciens qui reconnaîtront ou non sa valeur.
Le déroulement de la Réception constitue un temps fort de la vie du Compagnon par la puissance du rituel et une véritable mise à l'épreuve psychologique du candidat. En cas de réussite, la société lui confirmera alors son nom de Compagnon, complété par une caractéristique liée à son comportement ou sa qualification - le nouveau nom choisi doit marquer l’individu comme une investiture - exemple : "Avignonnais la Vertu"). On lui remettra une canne plus longue, et l'on procédera à de nouvelles frappes spécifiques sur ses couleurs (rubans, cordon ou baudrier).
Tous les rituels de réception sont composés d’épisodes destinés à éprouver la sincérité, la volonté, le courage, la moralité et l’engagement du candidat. Le serment d’être fidèle au Devoir et à ses Pays ou Coteries en constitue un épisode important.
La canne est généralement en jonc, avec un grand bout ferré et un pommeau qui porte le nom du Compagnon, son Rite, sa Corporation, la date de sa Réception ; les cannes sont différentes selon les corporations :
- Enfants de Maître Jacques : canne à pomme d’ivoire
- Enfants du Père Soubise : canne à tête noire en corne
- Enfants de Salomon : canne à pommeau ou Torse.
Quelques sobriquets de Compagnons :
La Brie l'Ami du Trait : évoque la compétence d’un compagnon dans le dessin ;
La Clef des Coeurs de Fleurance : souligne le caractère de fraternité ;
Tourangeau l'Ami des Arts ;
Bordelais le Résolu.
Enfin, le Premier Compagnon ou "Rouleur" est un Compagnon fini qui assure des responsabilités au sein de la corporation : il est reconnu par ses pairs au cours d'une cérémonie spéciale appelée "Cérémonie de Finition". Il s'occupe en particulier de l'accueil et du placement des Apprentis.
Devise des Compagnons du Devoir :
"Ni s'asservir, ni se servir, mais servir." ou "Servir sans s'asservir ni se servir."
Durant la plus grande partie de son histoire, le Compagnonnage ne comprenait que des métiers qui étaient exercés par des hommes. La force physique nécessaire, la pénibilité et la dangerosité des métiers du bâtiment, les risques liés au Tour de France et l’environnement socioculturel rendaient inconcevable l’admission des jeunes femmes au sein des sociétés compagnonniques.
L’évolution des mentalités a conduit une partie des Compagnons à envisager le passage d’une société masculine à une société mixte.
Des mouvements compagnonniques dissidents se sont ouverts à la mixité dès 1978.
En 2004, l’Association Ouvrière des Compagnons du Devoir a adopté cette réforme.
La première femme Compagnon a été reçue en 2006 (chez les tailleurs de pierre) et d’autres l’ont été depuis dans plusieurs métiers (tapissier, menuisier, boulanger, jardinier-paysagiste, etc.).
Extrait de la "Règle des Compagnons du Devoir", 2009 :
"Apprendre à travailler les éléments pour assurer son quotidien et, malgré les difficultés, se perfectionner sans cesse pour devenir avec patience capable de son métier. Mais également apprendre à ne pas gaspiller les ressources afin que d’autres, ailleurs et demain, puissent en vivre. Les Compagnons du Devoir se sont engagés à agir dans le respect de l’environnement.
Dépasser ses propres intérêts et, en Homme libre, se mettre au service des autres. Cela nécessite un travail quotidien sur soi-même, tant pour en acquérir patiemment les aptitudes que pour apprendre à s’effacer."
"L’homme pense parce qu’il a une main." Anaxagore.